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Mathieu Bock-Côté « l'Université est le noyau idéologique du régime diversitaire »

Sociologue, essayiste et chroniqueur, Mathieu Bock-Côté est l’un des esprits les plus lucides sur les périls qui menacent nos sociétés « diversitaires ». Ses travaux sur le communautarisme, le multiculturalisme et le politiquement correct ont permis de mieux comprendre les dynamiques de « déconstruction » qui sont à l’œuvre au sein des sociétés occidentales.

Québéquois passionné par l’histoire et la vie politique et intellectuelle de la France, Mathieu Bock-Côté est également un ami fidèle et un compagnon qui a souvent accompagné l’UNI dans ses combats, participant notamment à plusieurs Convergences. Nous le remercions pour cet entretien, à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage, La révolution racialiste et autres virus idéologiques.

© Mathieu Bock-Côté


Mathieu Bock-Côté, vous consacrez votre dernier livre à la Révolution racialiste. Révolution, le mot n’est-il pas trop fort ? Les excès et les provocations de cette gauche « woke » ne la condamnent-ils pas à rester dans les marges ?


Trop fort ? Je ne crois pas. Nous sommes témoins d’une accélération de l’Histoire, des concepts qui nous semblaient il y a quelques années encore délirants et qui font le procès de l’existence même des sociétés occidentales se normalisent à grande vitesse. Laissez-moi résumer : la révolution racialiste prétend que les sociétés occidentales sont fondées sur le principe de la suprématie blanche, que leur organisation sociale est animée par la logique du racisme systémique, et qu’il serait nécessaire de reconstruire l’ensemble des institutions politiques et sociales pour l’en extraire. Et elle n’est plus confinée aux marges depuis longtemps. Elle colonise l’ensemble de l’existence sociale, qu’il s’agisse de l’Université, des médias, de l’entreprise, de l’industrie de la défense, et même de l’armée, aux États-Unis. Elle est aujourd’hui hégémonique et transforme en suspects ceux qui n’embrassent pas ses principes publiquement et explicitement, et qui ne manifestent pas d’enthousiasme à son endroit.



Pourquoi l’université représente-t-elle un terreau aussi fertile pour cette idéologie ?


L’Université est le noyau idéologique du régime diversitaire, elle n’est pas seulement un terreau fertile pour cette idéologie, elle en représente le principal lieu de production. Cela n’est pas sans lien avec la longue histoire des intellectuels depuis le début du XXe siècle, qui se sont laissés hypnotiser par les différentes idéologies totalitaires, comme si elles leur promettaient un plein pouvoir sur le monde, transformé en laboratoire au service de savants fous pouvant tester leurs doctrines sur des populations cobayes. Les intellectuels aiment les doctrines qui leur promettent le pouvoir de reprogrammer la société intégralement. Aujourd’hui, l’acharnement idéologique contre notre civilisation dans les sciences sociales est assimilée à une forme de créativité théorique, et c’est à qui ira le plus loin dans la névrose antioccidentale qui sera considéré comme le plus grand penseur, comme on le voit avec les hommages rendus à Judith Butler.



Ces dernières années, les militants de l’UNI ont souvent été obligés de défendre la liberté d’expression sur les campus face à des activistes « en tous genres » qui multipliaient les actions quelquefois violentes pour interdire des conférences, voire des cours, au motif qu’ils se sentaient « offensés ». Comment expliquez-vous la montée de ce que vous appelez une « hypersensibilité agressive » ?


Je suis une victime, et plus exactement, une victime de l’ordre blanc patriarcal phallocentrique occidental, donc je suis : telle est la maxime du régime diversitaire, qui ne cesse de se radicaliser. C’est en faisant valoir ses doléances contre la société occidentale que se déploie aujourd’hui la subjectivité, qu’elle se construit. Il faut dire d’ailleurs qu’il y a un avantage médiatique, social et financier à se dire victime du grand méchant homme blanc et de réclamer son droit à la « réparation » - inversement, vous le noterez, les immigrés qui se sont assimilés et intégrés aux nations occidentales sont désavantagés par le régime diversitaire et l’idéologie du multiculturalisme global. Ils sont souvent accusés de trahison raciale. C’est en se convertissant à la logique de la diversité, en s’en voulant désormais les représentants, qu’ils peuvent retrouver le chemin de l’ascenseur social. Quant aux majorités historiques occidentales, elles sont traitées comme des catégories sociales résiduelles, qui font obstacle au progrès de la diversité. Par ailleurs, nous sommes témoins d’un effondrement anthropologique généralisé : une société qui ne sait plus que l’homme et la femme existent et qui entend remplacer le masculin et le féminin par la fluidité identitaire au nom de la théorie du genre a tout simplement sectionné son rapport au réel. Elle évolue sous une domination idéologique complète, quoi qu’on en pense. Elle évolue dans un monde parallèle. Et les contrôleurs du politiquement correct s’assurent que nous ne pourrons pas en sortir.



Que veut dire « lutter contre le racisme » pour les adeptes de la pensée décoloniale ?


La pensée décoloniale est fondée sur une thèse forte : la suprématie blanche serait à la base de toutes les sociétés occidentales. Mais cette suprématie se dissimulerait derrière l’universalisme, qui lui servirait de masque – le même reproche est fait à la nation. Dès lors, pour construire une société ouverte, inclusive, il faut déchirer le voile de l’universalisme et dévoiler la structure de domination raciale des sociétés occidentales, pour entreprendre leur décolonisation intérieure. Il s’agit donc, dès lors, de lutter contre « l’homme blanc », toujours jugé de trop, où qu’il soit, de l’humilier, en se livrant à un nouvel iconoclasme contre tout ce qui le représente, de le contraindre à se plier à des séances d’autocritique raciale en permanence, et de se livrer à ce qu’on appellera la nuit du privilège blanc, pour s’en départir. Les racialistes fonctionnent selon les codes de la comptabilité ethnique et raciale : ils refusent de reconnaître dans nos sociétés des nations, animées par une identité historique propre, mais ne veulent y voir qu’un entrelacement de systèmes discriminatoires contre lesquels il faudrait se mobiliser à travers les catégories du militantisme intersectionnel. Concrètement, pour se délivrer de la suprématie blanche, nos décoloniaux plaident ainsi pour une discrimination positive généralisée, mais aussi pour ce qu’il faut bien appeler une « ségrégation positive », comme on le voit avec les ateliers non-mixtes réservés aux racisés, normalisés de mon côté de l’Atlantique, et qui progressent du vôtre. À terme, l’individu est appelé à disparaître : il est transformé en chair à quota.



Enfin, vous semblez dire que la France, du fait de son histoire et de sa culture, a un rôle particulier à jouer face à la vague racialiste ? Qu’est-ce qui la différencie en la matière des autres pays occidentaux ? Comment peut-elle résister à cette révolution ?


La France, par son histoire, sa culture, et j’oserais dire, sa vocation, incarne dans le monde autre chose qu’un pays parmi d’autres. Par sa prétention à l’universel, elle incarne aujourd’hui un pôle de résistance à ce qu’on appelait autrefois, avec raison, finalement, l’impérialisme américain. Ce n’est pas sans raison que la grande presse américaine, bien représentée ici par le New York Times, mène contre la France une campagne de dénigrement permanente, en plus d’accueillir dans ses pages comme des intellectuels réfugiés issus de la diversité les militants indigénistes les plus toxiques, les plus virulents. La France tient tête à la révolution racialiste non seulement par son culte, quelque peu incandescent, de la « République », mais par sa culture, ses mœurs, sa langue, son rapport à la littérature, sa représentation du rapport entre les sexes, la manière très particulière qu’elle a de penser l’amitié – je pourrais poursuivre cette liste longtemps, mais elle deviendrait absurde. Alors je résumerais : il existe une telle chose qu’un peuple français, et c’est en assumant pleinement son noyau existentiel qu’il saura résister à cette nouvelle vague totalitaire qui emporte aujourd’hui l’Amérique du nord et qui traverse l’Atlantique à grande vitesse. Mais pour cela, la France doit la prendre au sérieux, et ne pas se contenter d’y voir une série d’anecdotes loufoques qui ne la concernent ni ne la menacent. C’est peut-être cela qui manque, aujourd’hui, en France : une véritable prise de conscience des dangers du wokisme.



La révolution racialiste et autres virus idéologiques,

Mathieu Bock-Côté (Éditions Presses de la cité - avril 2021)


C’est une révolte ? Non une révolution ! Une révolution où les bourreaux se font passer pour des victimes, où la « sensibilité » devient une arme redoutable pour demander l’excommunication de ceux qui pensent et vivent différemment, où la « ségrégation » devient positive après s’être rebaptisée « non-mixité choisie ». Un regard rapide pourrait juger tout cela bien ridicule mais sans grande importance. «  Privilège blanc », « intersectionnalité », «woke », « mégenrer », pendant trop longtemps, ces concepts tous plus spécieux les uns que les autres nous ont amusés, voire agacés. Trop peu de personnes les ont pris suffisamment au sérieux. Mathieu Bock-Côté est l’un de ceux qui a compris que derrière cette loufoquerie apparente le projet politique de ces activistes était aussi sérieux que dangereux. Dans cet essai, il est parvenu à proposer une analyse exigeante et synthétique de cette galaxie de la « déconstruction ». Si prendre conscience du mal est la première étape vers la guérison, espérons que la lecture massive de ce livre puisse immuniser nos sociétés face à cette épidémie « racialiste ».


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